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Tout au long des fouilles du Roc-aux-Sorciers, Lucien Rousseau puis Suzanne de Saint-Mathurin et Dorothy Garrod ont été frappés par l’abondance des témoins archéologiques liés à l’utilisation de la couleur (godets, molettes, outils en matière dure animale, objets de parure et d’art mobilier, etc.) ainsi que par l’omniprésence des matières colorantes sur le site (blocs bruts et utilisés, « crayons », couche « ocrée » RSE). Dès la découverte de l’art pariétal, Suzanne de Saint-Mathurin met en liaison ces témoins avec les traces de peinture associées aux sculptures et aux gravures. Cette relation exclusive n’a cependant jamais été démontrée et cette hypothèse nous paraît, au vu des connaissances actuelles, assez réductrice de ce qu’a pu être le rôle des matières colorantes au Roc-aux-Sorciers. L’omniprésence de la couleur dans l’habitat tranche de surcroît très nettement avec la ponctualité des vestiges picturaux associés aux œuvres pariétales sculptées et gravées.
Le rôle de la couleur dans l’habitat a notamment été appréhendé par l’analyse des matières colorantes des collections Rousseau et Saint-Mathurin, toujours en cours d’étude1. Nous avons dénombré 106 blocs de colorants (46 dans la collection Rousseau et 60 dans la collection Saint-Mathurin), bruts et utilisés. La grande majorité de ceux de la collection Saint-Mathurin proviennent de l’abri Bourdois (55), aussi bien des horizons du Magdalénien moyen (RSC, RSD, RSE) que des horizons du Magdalénien supérieur (RSB2, RSB4), tandis que seulement 5 blocs de cette collection proviennent du Magdalénien moyen de la cave Taillebourg (TCC, TCD). Les 46 blocs de la collection Rousseau enrichissent donc de manière importante le corpus des matières colorantes du Magdalénien moyen de la cave Taillebourg, même si leur provenance exacte reste inconnue. Signalons que certaines couches archéologiques ne sont pas représentées, ce qui, à la lecture des notes de fouilles, paraît davantage dû au ramassage non exhaustif des matières colorantes qu’à leur absence réelle de ces niveaux.
Au Magdalénien moyen, période de réalisation de la frise, les matières colorantes dominantes sont les ocres rouges, essentiellement dans l’abri Bourdois, et le manganèse, colorant noir, essentiellement dans la cave Taillebourg. Les ocres jaunes et les hématites, colorants rouges, sont quant à elles plus rares. Il importe de signaler la présence de trois blocs de craie dans la collection Rousseau ; en 1933, il indique effectivement dans son article qu’il en a trouvé « quelques fragments2 ». Cette tendance s’inverse au Magdalénien supérieur : les hématites dominent, tandis que les ocres rouges sont moins bien représentées qu’au Magdalénien moyen. Les ocres jaunes restent rares. Aucun bloc de manganèse n’a été collecté. Cette nouvelle tendance reflète-t-elle un changement dans les stratégies d’exploitation des colorants au Magdalénien supérieur, ou bien est-elle le résultat de la collecte non systématique des blocs durant les fouilles ?
Certains de ces blocs colorants sont sans doute liés à des activités d’ordre artistique : les matières colorantes identifiées, ocres, manganèse et hématite, correspondent en effet aux pigments déterminés par les analyses physico-chimiques des matières picturales présentes sur six blocs effondrés de la cave Taillebourg3. Ces blocs ont également pu être utilisés pour colorer certains objets de parure et d’art mobilier, et il n’est pas exclu qu’ils aient pu être sollicités pour des peintures corporelles.
En revanche, d’autres blocs de matières colorantes sont intervenus dans les activités de la vie quotidienne des Magdaléniens : ces derniers ont effectivement pu solliciter leurs diverses propriétés pour le tannage et la conservation des peaux, l’assainissement des sols d’habitat, le polissage de certains objets, la fabrication d’adhésifs, etc.
À l’heure actuelle, l’examen des matières colorantes du Roc-aux-Sorciers révèle ainsi qu’elles ont certainement eu une double vocation, renforçant le lien particulièrement fort entre vie artistique et vie domestique sur le site.
Deux « crayons » de la collection Saint-Mathurin provenant des couches du Magdalénien moyen de l’abri Bourdois
© RMN, ill. Thierry Ollivier.
Les blocs de manganèse utilisés
Blocs d’ocre jaune utilisés
Blocs d’ocre rouge bruts
Blocs d’ocre rouge utilisés
Blocs d’hématite utilisés
Blocs de craie utilisés
1 A. Abgrall, in : Angles-sur-l'Anglin (Vienne). Le Roc-aux-Sorciers : ses occupants les Magdaléniens et leur rapport à l'art, dir. par G. Pinçon, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 2011, à paraître.
2 L. Rousseau, « Le Magdalénien dans la Vienne. Découverte et fouille d’un gisement du Magdalénien à Angles-sur-l’Anglin (Vienne) », Bulletin de la Société préhistorique française, t. 30, 1933, p. 248.
3 I. Auzanne, « La couleur sur le site du Roc-aux-Sorciers (Angles-sur-l’Anglin, Vienne) : caractérisation des matières picturales utilisées par les artistes magdaléniens dans la cave Taillebourg », mémoire de DEA, spécialité préhistoire, université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2001, 63 p., ill ;
I. Auzanne, E. Desroches et G. Pinçon, « Bilan d’interventions sur le site magdalénien du Roc-aux-Sorciers à Angles-sur-l’Anglin (86, France) : restauration, analyse de la polychromie et relevé numérique 3D », L’Art avant l’Histoire, la conservation de l’art préhistorique, 10e journée d’études de la section française de l’Institut international de conservation (SFIIC), Paris, 23-24 mai 2002, p. 221-241, ill ;
I. Auzanne et O. Fuentes, « Le “sorcier” du Roc-aux-Sorciers à Angles-sur-l’Anglin (Vienne, France) : nouveaux éléments d’analyse », Antiquités nationales, n° 35, 2003, p. 41-54, ill.
Auteur : Aurélie Abgrall
© Réunion des musées nationaux – 2009