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Une panoplie d’outils des Magdaléniens moyens. Outils simples, n° 1 : grattoir, n° 6 : burin sur troncature, n° 7 : perçoir (ou bec) ; outils doubles, n° 2 et 3 : grattoir-burin, n° 4 : burin-grattoir ogival, n° 5 : bec double
© Jacques Lemounier, ill. Lucie Chehmana.
Au Roc-aux-Sorciers, plusieurs témoins de la présence magdalénienne retrouvés dans le sol de l’abri ont été très probablement laissés par les hommes qui ont orné les parois. Les premiers ont été découverts par Lucien Rousseau lors de ses fouilles effectuées à partir de 19271. Ils proviennent de l’exploration de la zone située en amont du grand abri, appelée la cave Taillebourg, dans laquelle plus de 5 000 pièces lithiques ont été prélevées. Ces dernières présentent de nombreuses similitudes avec celles mises au jour au pied des sculptures de l’abri Bourdois (fouilles Saint-Mathurin).
Quelques exemplaires d’armatures confectionnées par les Magdaléniens moyens
© Jacques Lemounier, ill. Lucie Chehmana.
Elles semblent appartenir au même ensemble archéologique. Ces pièces recueillies dans le secteur de la cave Taillebourg constituent une série relativement abondante. Cette collection, qui fait ici l’objet de notre étude, est composée de divers outils (grattoir, burin, bec, perçoir) et d’armatures qui témoignent d’autres activités que celles qui occupaient les artistes. Leur présence semble ainsi montrer que ceux qui sont venus orner l’abri y ont également séjourné afin de réaliser des activités de la vie quotidienne (taille du silex, tannerie, chasse), preuves que ce site n’a pas été seulement un lieu de passage pour la réalisation et la contemplation de ces œuvres monumentales, mais qu’il a également été un lieu d’habitation.
La caractérisation de cette production lithique nous donne maintenant les moyens de confirmer les relations qui avaient été évoquées entre plusieurs sites ornés magdaléniens. Nous nous sommes aperçue, lors d’observations directes mais aussi à partir de références bibliographiques, que le type d’armature et la méthode originale d’extraction de lamelles étaient présents dans plusieurs séries attribuées au faciès « Lussac-Angles ». Ces observations nous conduisent ainsi à les envisager comme de véritables marqueurs culturels. Elles permettent d’affirmer que les Magdaléniens qui ont occupé l’ensemble de ces sites partageaient les mêmes savoir-faire techniques. Les lamelles à dos à base tronquée ainsi que les nucléus « La Marche » ont été répertoriés dans les séries du Roc-aux-Sorciers et celle de La Marche, et probablement dans celle de l’abri sculpté de Reverdit2 (Sergeac, Dordogne), également rapporté au Magdalénien moyen. La présence du même type d’armature est également effective dans l’une des séries qui provient du gisement récemment fouillé du Taillis-des-Coteaux3 (Vienne). Ces pièces auraient par ailleurs été recensées dans d’autres types d’industries, certes datées du Magdalénien moyen, mais qui avaient été regroupées sous un autre faciès. Il s’agit de celui connu sous le nom de Magdalénien à navettes4. Les séries pour l’instant concernées proviennent de la grotte Grapin5 à Arlay (Jura) et de la Garenne6 à Saint-Marcel (Indre).
Si les similitudes entre les armatures du faciès à navettes7 et celui à sagaies de Lussac-Angles se confirmaient et qu’elles concernaient également les méthodes d’obtention de lamelles, elles deviendraient effectivement des indices de rapprochement entre ces industries. Cela signifierait alors que les hommes qui les ont conçues appartenaient sans doute à la même tradition. Pour le vérifier, des travaux visant à comparer l’ensemble de la production lithique devront être engagés. Il sera alors légitime de se demander si les différences observées entre ces industries sont vraiment à l’origine d’une distinction culturelle ou si elles peuvent être liées aux activités diverses que pratiquaient les Magdaléniens. Rappelons notamment que, dans cette région, les sites ornés sont principalement ceux regroupés sous le faciès à sagaies de Lussac-Angles. Par ailleurs, les « fossiles directeurs » de chacun de ces faciès ont des fonctions bien distinctes : le premier fait référence à des têtes de projectile destinées à la chasse alors que l’on considère plutôt les navettes comme des manches d’outil8. Cette discussion rejoint celle évoquée par Geneviève Pinçon lorsqu’elle se demande si les distinctions dans les traitements graphiques de ces quelques sites ornés ne pourraient pas également être liées à la fonction que les Magdaléniens leur attribuaient. Voici pourquoi nos études s’orientent maintenant plus précisément vers la mise en évidence de leurs différentes activités. Nous nous apercevrons peut-être un jour que, selon les sites, certaines ont été privilégiées à d’autres.
Le Roc-aux-Sorciers offre un très large panel d’outils typiques du Magdalénien (burins, lames, grattoirs, perçoirs…). S’il semble clair qu’une partie de cette industrie est liée à des activités domestiques, il reste à déterminer quelle part de l’outillage peut être mise en relation avec les différentes réalisations artistiques qui caractérisent le site : sculptures, gravures, parures (dents, os, coquilles).
Un premier test tracéologique a été mené sur une série de lames. Si quelques outils attestent en effet d’activités domestiques, en particulier la boucherie, les lames de grand module (18 à 21 cm) indiquent une action sur une matière minérale qui peut être mise en relation avec la réalisation des représentations artistiques du site.
Ces lames montrent sur leur extrémité la plus solide (distale ou proximale) des traces résultant de l’enlèvement de copeaux de matière minérale plastique. La trace enrobe l’extrémité active de la lame ; sur l’un des bords, environ 3 cm du tranchant ont été en contact avec le mondmilch9. L’autre bord a été utilisé sur une longueur variant de 4 à 8 cm. Sur ces dernières zones, le fil du tranchant présente de nombreuses écaillures et un émoussé très prononcé indiquant un contact avec un matériau abrasif.
Par ailleurs, un poli résultant du contact avec la matière minérale se répartit largement sur les deux faces de l’outil, formant une sorte de triangle entre l’extrémité distale ou proximale de l’outil et la limite de l’émoussé sur les deux bords. L’organisation des traces indique que le geste a été semi-circulaire, avec une pénétration dans une matière minérale tendre et plastique (polie sur les deux faces de l’outil).
Cette répartition des traces indique clairement que le matériau a été travaillé alors qu’il était humide et souple. L’examen de certaines têtes de chevaux conservées au musée d’Archéologie nationale confirme cette hypothèse. En effet, à la commissure des lèvres, un bourrelet indique que la matière retirée pour former la bouche a été repoussée.
Une analyse plus précise des traces d’usure sur les outils croisée avec une étude des traces de fabrication des sculptures et un programme expérimental devraient permettre à terme de mieux appréhender les techniques de réalisation des frises et reconsidérer le savoir-faire des sculpteurs magdaléniens.
Les grattoirs
Les burins
Les outils doubles
Les lames utilisées
Les pics
Les nucléus
Les lamelles à dos à base tronquée
Matériel lithique par couche
1 L. Rousseau, « Le Magdalénien dans la Vienne. Découverte et fouille d’un gisement du Magdalénien inférieur à Angles-sur-l’Anglin (Vienne) », Bulletin de la Société préhistorique française, t. 26, 1929, p. 495-496. ;
L. Rousseau, « Le Magdalénien dans la Vienne. Découverte et fouille d’un gisement du Magdalénien à Angles-sur-l’Anglin (Vienne) », Bulletin de la Société préhistorique française, t. 30, 1933, p. 239-256, 4 fig., 5 pl.
2 F. Delage, « Les Roches de Sergeac (Dordogne) », L’Anthropologie, t. 45, 1935, p. 295 : lamelles à dos à base tronquée : fig. 8, nos 12-15 et 18 ; nucléus « La Marche » : fig. 7, nos 2 et 3.
3 J. Primault, L. Brou, J. Gabilleau et M. Langlais, « La grotte du Taillis des Coteaux à Antigny (Vienne) : intérêts d’une séquence originale à la structuration des premiers temps du Magdalénien », Bulletin de la Société préhistorique française, t. 104, n° 4, 2007, fig. 10.
4 J. Allain, R. Desbrosse, J. K. Kozlowski et A. Rigaud, « Le Magdalénien à navette », Gallia Préhistoire, t. 28, n° 1, 1985.
5 S. David, « La fin du Paléolithique supérieur en Franche-Comté. Environnement, cultures, chronologie », Gallia Préhistoire, t. 38, 1996, p. 142, fig. 41.
6 J. Allain, R. Desbrosse, J. K. Kozlowski et A. Rigaud, « Le Magdalénien à navette », Gallia Préhistoire, t. 28, n° 1, 1985, p. 77, fig. 42 ;
E. Jacquot, « À la recherche de l’identité culturelle des Magdaléniens de la grotte Blanchard à la Garenne (Indre). Étude technologique des microlithes », mémoire de maîtrise, spécialité préhistoire, université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2002, 110 p., p. 55 et p. 56, fig. 30 ;
A. Taylor, « Analyse de deux séries lithiques appartenant au Magdalénien moyen à navettes. Les secteurs intérieurs de la grotte Blanchard à la Garenne (Indre), couches C1 et C2-B5 », mémoire de DEA, spécialité préhistoire, université Aix-Marseille I, 2003, p. 75.
7 J. Allain et J. Descout, « À propos d’une baguette à rainure armée de silex découverte dans le Magdalénien de Saint-Marcel », L’Anthropologie, t. 61, 1957.
8 J. Allain, « Contribution à l’étude des techniques magdaléniennes. Les navettes », Bulletin de la Société préhistorique française, t. 54, n° 3-4, 1957, p. 216-222 ;
J. Allain, R. Desbrosse, J. K. Kozlowski et A. Rigaud, « Le Magdalénien à navette », Gallia Préhistoire, t. 28, n° 1, 1985, p. 37-124 ;
J. Allain et A. Rigaud, « Fiche Navettes », Fiches typologiques de l’industrie osseuse préhistorique. Cahier VI. Éléments récepteurs, dir. par H. Camps-Fabrer, Treignes, CEDARC, 1993, p. 5-14.
9 De l’allemand Mondmilch, « lait de lune » : calcaire mou dû à une activité bactérienne qui durcit au contact de l’air.
Auteurs : Lucie Chehmana pour « L’industrie lithique », Sylvie Beyries pour « Premiers tests fonctionnels sur l’industrie lithique »
© Réunion des musées nationaux – 2009