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Les abris-sous-roche sculptés magdaléniens se concentrent sur une aire géographique restreinte entre Vienne, Charente et Dordogne : le Roc-aux-Sorciers, la Chaire-à-Calvin (Mouthiers-sur-Boëme, Charente), le Cap-Blanc (Marquay, Dordogne), l’abri Reverdit (Sergeac, Dordogne) et les Jamblancs (Bayac et Bourniquel, Dordogne). Ces sites sculptés, baignés par la lumière du jour et associés à des niveaux d’habitation, constituent un phénomène artistique tout à fait original au Magdalénien moyen, période où se multiplient les grottes ornées dans tout l’espace franco-cantabrique.
Le Roc-aux-Sorciers présente un art naturaliste monumental : les proportions des sujets sont respectées, les détails anatomiques sont précis et les attitudes animées. Cet art offre également des éléments de style comme la géométrisation de détails anatomiques, des attitudes répétées des sujets. Le positionnement des figures est également récurrent, comme les bisons qui ont la tête systématiquement appuyée sur une arête naturelle. Des procédés techniques renforcent l’homogénéité des figures, comme la légère torsion appliquée aux mufles des chevaux et des bouquetins pour représenter les deux naseaux vus de face, alors que le reste de la tête est de profil.
Plusieurs sculptures portent des traces de retaille : le bouquetin mâle Bo6 est issu d’anciennes figurations de bison et de cheval ; l’association femme-bison Vé5-An1 est antérieure à la représentation de la « bouquetine » Bo4 et du jeune bouquetin Bo5. Ces retailles indiquent une appropriation continue de la paroi par les Magdaléniens et le respect de règles tout au long de leurs interventions. Les figures répondent à des canons précis tant au niveau de leur organisation que dans leur représentation, et cela jusque dans les moindres détails. Ainsi, tradition et innovation s’accordent au Roc-aux-Sorciers tout au long de l’occupation magdalénienne par les sculpteurs.
Plusieurs sites d’art sculpté présentent des affinités avec le Roc-aux-Sorciers : c’est notamment le cas de la Chaire-à-Calvin, classée monument historique depuis 1986. C’est un abri-sous-roche de petites dimensions qui s’ouvre au pied d’une falaise de calcaire turonien, orientée au sud-est, le long du Gersac, petit affluent de la Boëme. Découvert en 1865 par Alphonse Trémeau de Rochebrune, le site fut fouillé à plusieurs reprises. De 1924 à 1933, puis de 1947 à 1959, Pierre David reprend les fouilles et découvre les œuvres pariétales. D’après Jean-Marc Bouvier, la zone ornée n’est plus accessible après le Magdalénien moyen, et ne peut dater du Magdalénien supérieur. Elle est donc de la même période que celle de l’abri du Roc-aux-Sorciers.
C’est après une visite à la grotte de Pair-Non-Pair (Prignac-et-Marcamps, Gironde) que Pierre David a l’idée de rechercher des œuvres sur la paroi ; il les découvre vers 1926-1927. Leur dégagement est difficile car du sédiment « brêchifié » les recouvre. La paroi a subi des agressions récentes aussi bien naturelles qu’anthropiques. Pierre David mentionne l’utilisation de brosses, de ciseaux à bois et d’instruments d’acier qui ne sont pas sans conséquence sur les œuvres archéologiques et donc sur leur lecture et leur interprétation2.
Frise sculptée de l'abri de la Chaire-à-Calvin
© Geneviève Pinçon, Conseil général de la Charente, ill. Alain Maulny.
Animation : comparaison des yeux des chevaux de la Chaire-à-Calvin et du Roc-aux-Sorciers.
- Œil triangulaire du cheval de la Chaire-à-Calvin
© Geneviève Pinçon, Conseil général de la Charente, ill. Alain Maulny.
Animation : © Geneviève Pinçon, Conseil général de la Charente, ill. Alain Maulny ; RMN, ill. Jean-Gilles Berizzi ; réalisation flash Paloma Sedeau.
Les œuvres, exposées à la lumière naturelle, se localisent sur la paroi droite de l’abri sur près de trois mètres. Pierre David décrit la dernière figure dégagée comme un cheval au galop dirigé vers l’intérieur de l’abri, puis comme un accouplement de chevaux. Il existe peu de scènes d’accouplement dans l’art paléolithique, c’est pourquoi les écrits sur cette figure sont nombreux. Pour Annette Laming-Emperaire3, il s’agit d’un bison retaillé en cheval. André Leroi-Gourhan reprend cette lecture qu’il complète par celle d’un cheval plus petit retaillé dans le bison4. Si l’on s’attache aux vestiges de sculpture les plus anciens, un « animal hybride » se discerne, composé d’un avant-train de cheval indéniable et d’une partie arrière attribuable à un bison. L’œil inscrit dans un relief triangulaire renvoie au même élément de style que sur les chevaux du Roc-aux-Sorciers. Ce rapprochement est renforcé par l’attitude du cheval, la tête inclinée sur la patte antérieure légèrement fléchie.
Etagne du Roc-aux-Sorciers intégrée dans le volume de l’animal central de la frise de la Chaire-à-Calvin (base de données 3D)
© Geneviève Pinçon, Conseil général de la Charente, Art Graphique et Patrimoine.
L’animal central, interprété jusque-là comme un cheval, n’est présent qu’à travers des éléments anthropiques récents (crayonnages, coups de burin métallique, etc.). Pierre David décrit un cheval au repos, la queue tombante, la tête assez petite proportionnellement au cou, le ventre gravide. L’analyse de la partie sculptée anciennement permet de saisir le volume d’un corps vu de profil gauche, au poitrail imposant, évoquant un capridé. Une ligne, tendant à l’horizontale, dont on note l’empreinte ancienne dans l’encolure « récente », a pu porter son encolure d’origine. L’attache des pattes à la ligne ventrale a le même modelé que sur les bouquetins du Roc-aux-Sorciers. Au niveau du poitrail, le pli est géométrisé comme sur les bouquetins et les bisons d’Angles.
Superposition virtuelle de la bouquetine (Bo4) de l’abri Bourdois sur l’animal acéphale de la frise de la Chaire-à-Calvin à partir des bases de données 3D des deux sites
© Geneviève Pinçon, Conseil général de la Charente, Art Graphique et Patrimoine.
Le sujet de gauche est interprété comme un animal acéphale, bovidé ou cheval. Pour David, il représente un bison en arrêt brusque. La croupe ainsi que le ventre et les pattes antérieures de cet animal, de profil droit, sont des éléments de sculpture ancienne bien conservée. En revanche, le poitrail et la ligne de l’encolure ont subi des dégradations récentes, ce qui empêche d’affirmer que ce sujet a été à l’origine acéphale. La croupe au contour angulaire évoque l’arrière-train d’un capridé femelle. Nous ne pouvons manquer de le comparer à la « bouquetine » Bo4 du Roc-aux-Sorciers. En effet, leurs volumes respectifs sont proches, leur ligne de ventre et l’attache des pattes très similaire, ainsi que leur attitude, les pattes jointes projetées en avant.
En 1983, plus loin dans l’abri mais sur le même registre horizontal, Louis Duport signale une tête (ou un masque) de félin. Toutefois, l’analyse récente confirme la lecture d’autres auteurs (André Leroi-Gourhan, Jean-Marc Bouvier et Michèle Crémadès), d’une tête de cheval retournée. Cette figure est particulièrement étonnante du fait de sa position originale qui a obligé l’artiste à projeter l’image à l’inverse de son orientation naturelle.
Il existe ainsi de fortes affinités entre les œuvres pariétales monumentales du Roc-aux-Sorciers et celles de la Chaire-à-Calvin. Les thématiques, les éléments de style comme la géométrisation des détails anatomiques, les attitudes des sujets, leurs proportions, les phénomènes de retailles, etc., relevés sur les deux sites, renvoient à la notion de « territoire culturel ». Le rapprochement de ces sites magdaléniens distants de 150 km pose la question de leur fréquentation par un seul et même groupe culturel. Actuellement, la reprise de l’étude de l’abri Reverdit5 et de l’abri du Cap-Blanc apporte de nouveaux éléments de comparaison qui mettent en exergue des expressions symboliques propres, mais qui appuient aussi certains caractères convergents entre ces sites.
Ainsi, une représentation de l’abri Reverdit s’apparente au cheval n° 2 du Cap-Blanc. La frise montre de profonds parallèles avec celle du Cap-Blanc distant de quelques kilomètres. La technique de mise en relief si particulière de l’abri Reverdit est uniquement connue sur les bas-reliefs monumentaux, très épais, du Cap-Blanc où le support est évidé sur plusieurs dizaines de centimètres6. Le premier cheval de l’abri Reverdit diffère en revanche. Tant dans sa technique que dans sa morphologie, en particulier la finesse et le modelé de sa tête, il rappelle davantage les chevaux de l’abri Bourdois au Roc-aux-Sorciers, éloigné de près de 200 km.
Le Magdalénien moyen offre une grande diversité culturelle sur un large espace. Les particularités des symboles graphiques conduisent à subdiviser ces aires fréquentées par l’homme et à tenter des approches territoriales plus fines, à l’échelle de groupes plus restreints. Ces abris sculptés magdaléniens, peu nombreux, qui occupent un espace très localisé, nous permettent-ils de cerner, pour ces périodes reculées, la qualité itinérante des artistes de ces micro-sociétés nomades ?
1 G. Pinçon, O. Fuentes et C. Bourdier, « La sculpture en abri : un art partagé ? », Les Dossiers d’archéologie, Grottes ornées en France, n° 324-H, novembre-décembre 2007, p. 86-91, 9 fig.
2 G. Pinçon et C. Bourdier, « Nouvelle interprétation d’une sculpture pariétale de la Chaire-à-Calvin (Charente, France) : apport de la technologie 3D », INORA, n° 54, 2009, p 11-16, ill.
3 A. Laming-Emperaire, La Signification de l’art rupestre paléolithique : méthode et applications, Paris, A. et J. Picard, 1962, 425 p., ill.
4 A. Leroi-Gourhan, Préhistoire de l’art occidental, Paris, L. Mazenod, coll. « L’art et les grandes civilisations », n° 1, 1965, 485 p., ill.
5 C. Bourdier, « La frise sculptée de l’abri Reverdit (Sergeac, Dordogne) : première approche analytique des œuvres », Paléo, n° 20, 2008, p. 23-46, ill.
6 A. Roussot, « Contribution à l’étude de la frise pariétale du Cap Blanc », in : Santander Symposium, Actas del symposium internacional de Arte rupestre, Madrid – Santader, Libreria cientifica del Consejo superior de investigaciones cientificas – Museo de prehistorica, 1972, p. 87-113.
Auteurs : Geneviève Pinçon, Camille Bourdier, Oscar Fuentes, Aurélie Abgrall
© Réunion des musées nationaux – 2009, mise à jour 2010