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Dater une œuvre paléolithique, la rattacher à une culture est une première étape. On sait combien elle peut être difficile, notamment pour les œuvres réalisées sur les parois des grottes profondes comme à Lascaux ou Chauvet, où les traces de séjour sont rares, malgré l’apport des techniques de datation directes de plus en plus précises.
Il existe plusieurs façons de dater une œuvre pariétale paléolithique. La plus courante est la datation relative. Elle peut être réalisée par attribution stylistique, caractérisée aussi bien par les techniques d’exécution, que par les couleurs utilisées, les espèces représentées et les formes de représentations de leurs corpulences ou de leurs détails anatomiques, les signes associés, etc. Cette méthode a été largement employée lors de la détermination des premières chronologies de l’art pariétal1. Elle le demeure encore à défaut de tout repère chronologique absolu et constitue une véritable problématique dans l’analyse des œuvres d’art pariétal paléolithique.
Les abris-sous-roche sculptés, dont la particularité est d’associer in situ les œuvres pariétales et les niveaux d’occupation, permettent une datation relative des œuvres du fait de leur recouvrement par les sédiments et la mise au jour de fragments d’œuvre pariétale au sein même des couches archéologiques dont la caractérisation peut être établie sur différents critères (attribution culturelle, datation relative, datation absolue sur certains matériels archéologiques).
Les conditions de découverte du Roc-aux-Sorciers permettent d’évoquer la chronologie des œuvres pariétales monumentales qu’il renferme. En s’appuyant sur un relevé analytique, incontournable pour une bonne compréhension de l’art pariétal, nous constatons des phénomènes de retaille et des vestiges de sculpture volontairement effacés. Ceux-ci apportent des précisions sur la chronologie des œuvres pariétales. La « lecture archéologique » de la paroi amène à une « chronologie pariétale » traduisant l’évolution de la paroi ornée, le changement des thèmes artistiques et des choix iconographiques au cours de l’occupation magdalénienne de ce site.
L’art pariétal du Roc-aux-Sorciers est un art homogène, fruit de la création d’hommes ayant obéi à des règles très précises. Les animaux et humains sont figurés avec un grand réalisme qui caractérise cet art pariétal. Tout en mettant en exergue les éléments propres à chacune des espèces figurées, l’artiste respecte les proportions des chevaux, bouquetins, bisons ou félins et apporte un traitement soigneux aux détails anatomiques. Les attitudes des animaux ont été choisies selon les espèces. À cela s’ajoutent les traits de stylisation particulière sur différentes figures, comme la géométrisation de certains détails anatomiques marquant un style propre. Ces éléments de stylisation et d’homogénéité entre les figures soulignent la similitude des images par espèce au sein de la frise sculptée de l’abri Bourdois et aident à l’interprétation de vestiges de sculptures.
Restitution des anciens bisons sculptés dans le registre inférieur du premier panneau des bouquetins (abri Bourdois).
1 - Registre inférieur du premier panneau des bouquetins
© Geneviève Pinçon, ministère de la Culture.
2 - Association femme (Vé5) / bison (An1) antérieure à la représentation de l’étagne (Bo4) et du jeune bouquetin (Bo5)
© Geneviève Pinçon, ministère de la Culture.
3 - Exploitation de la bibliothèque des formes 3D pour aider à l’interprétation du vestige de sculpture de bison effacé au profit de la sculpture du jeune bouquetin
© Geneviève Pinçon, ministère de la Culture, Art Graphique et Patrimoine.
L’art pariétal paléolithique est souvent présenté de façon statique : une image à un instant précis. Il nous est livré aujourd’hui dans sa phase de réalisation finale, avec un état de conservation lié aux influences naturelles ou anthropiques subies au cours du temps. C’est ainsi que des vestiges de sculptures d’une figuration associant une femme et un bison ont laissé la place à une représentation de jeune bouquetin. Par ailleurs, une figure de bouquetin actuellement en place sur la frise a été retaillée dans une ancienne image de bison et peut-être également de cheval. L’intégration de nouvelles figures de bouquetins n’a pas complètement effacé les images et les thèmes plus anciens. Les interventions successives des sculpteurs introduisant de nouvelles figures se font donc dans la continuité.
Restitution du cheval et du bison anciennement sculptés dans le registre supérieur du deuxième panneau des bouquetins (abri Bourdois).
1 - Bouquetin mâle (Bo6)
© MAN, fonds Saint-Mathurin.
2 - Relevé du bouquetin mâle avec proposition d’interprétation à l’aide de la bibliothèque de formes vecteur des négatifs des vestiges sculptés : forme d’une image ancienne de cheval possible
© Geneviève Pinçon, ministère de la Culture.
3 - Relevé du bouquetin mâle avec proposition d’interprétation à l’aide de la bibliothèque de formes vecteur des négatifs des vestiges sculptés : forme d’une image ancienne de bison possible
© Geneviève Pinçon, ministère de la Culture.
Ces nouvelles interprétations viennent compléter notre vue d’ensemble de la frise, notamment la variété des figures représentées au cours d’un millénaire d’occupation magdalénienne. La frise a connu une évolution des thèmes sculptés. Certaines figurations ont été effacées (bison, cheval, femme), d’autres retaillées (bouquetin). Certains représentations ont été respectées de tout temps (bison, femme, cheval). L’image que l’on a de la frise sculptée encore in situ dans l’abri Bourdois correspond à une image du dernier état artistique. Les étapes antérieures de création peuvent être ainsi appréhendées et on peut donc retrouver l’état de la frise à des époques antérieures à celle retrouvée.
Nous constatons donc au Roc-aux-Sorciers une appropriation continue de la paroi au cours de l’occupation par les Magdaléniens. Certaines images anciennes sont retaillées pour exprimer les nouvelles thématiques mais, en même temps, les anciennes thématiques sont conservées intégralement ou partiellement sur la frise. Les retailles ne sont pas le signe du non-respect des traditions. Le résultat est une frise offrant le reflet d’images de différentes périodes, entre tradition et innovation, marquant en quelque sorte leur intemporalité.
Mais s’agit-il de différents sculpteurs magdaléniens ? La question de la durée du temps de création des œuvres sur la paroi se pose. Il nous est encore difficile, dans l’état de notre connaissance actuelle, de définir l’espace de temps qui sépare chaque intervention sur la paroi, entre les Magdaléniens qui s’installent les premiers sur ce site et l’événement naturel qui entraîne l’effondrement brutal juste après l’occupation de ces Magdaléniens, un millénaire plus tard.
Ainsi, plusieurs phases d’intervention des Magdaléniens s’observent sur les parois2 : une première phase de gravures fines ; une deuxième phase d’aménagement entraînant la chute de blocs gravés dans la couche d’occupation ; une troisième phase de réaménagement, plus conséquente, avec creusement et aplanissement des surfaces pour préparer le plan des sculpteurs où les thèmes femme-bison-cheval dominent et une quatrième phase de retaille des sculptures avec l’introduction d’un nouveau thème, le bouquetin, entraînant la chute de fragments dans les couches. Les sculptures qui portent des traces de retaille soulignent une appropriation continue de la paroi par les Magdaléniens et le respect de règles de représentation (morphométrie, morphologie, détails anatomiques stylisés, etc.), partagées par le groupe lors de chaque intervention sur la paroi.
Les gravures fines
Les retailles de sculptures
1 H. Breuil, 400 siècles d’art pariétal. Les cavernes ornées de l’âge du renne, Montignac, Centre d’études et de documentation préhistoriques, 1952, 419 p ; A. Leroi-Gourhan, Préhistoire de l’art occidental, Paris, L. Mazenod, coll. « L’art et les grandes civilisations », n° 1, 1965, 485 p., ill.
2 G. Pinçon, « Chronologie des œuvres magdaléniennes du Roc-aux-Sorciers (Angles-sur-l'Anglin) : entre tradition et innovation », In situ n° 9.
Auteurs : Geneviève Pinçon, Oscar Fuentes, Camille Bourdier, Aurélie Abgrall
© Réunion des musées nationaux – 2009