Contenu Menu Aide et Accessibilité
La frise sculptée, gravée et peinte, préservée in situ, s’étend sur plus de 18 m de long et 2,5 m de haut. Elle rassemble plusieurs thèmes, comme les bisons, les chevaux, les bouquetins, les figurations féminines et les têtes humaines1. Un ensemble d’une telle qualité et d’une telle ampleur est extrêmement rare et exceptionnel pour le Paléolithique supérieur européen : moins d’une dizaine de grottes et abris présentent des œuvres sculptées aussi monumentales.
Dans l’abri Bourdois, les œuvres pariétales sculptées ne sont pas disposées de façon aléatoire. La frise, exposée plein sud et sculptée dans un banc stable de calcaire au grain fin, est dans son ensemble bien conservée ; elle apparaît en pleine lumière et forme visuellement une unité. Elle s’inscrit de façon continue selon deux registres horizontaux dont le principal est aligné sur une horizontale juste sous la ligne de voûte. Cette unité est liée à l’aspect géomorphologique de l’abri. Les œuvres, aujourd’hui en place, sont disposées au sein de l’abri sous la partie de la roche encaissante qui surmonte l’abri. Des vestiges de sculptures signalent que, au cours du Magdalénien, d’autres œuvres ont été réalisées en continuité en amont de l’abri, hors de la voûte actuelle, mais ont été volontairement détruites par l’homme préhistorique.
L’unité est également rendue par la configuration spatiale des sujets qui se suivent en file. Le rendu par leur profil droit majoritaire souligne le sens de leur déplacement, en particulier le long du registre supérieur. Les ruptures formées par les arêtes verticales naturelles rythment la frise. La composition globale de la frise s’organise alors panneau par panneau, selon des règles bien précises. Chaque composition sculptée – ou panneau – a été délimitée, selon la topographie du site d’une part, et selon les thèmes figuratifs d’autre part. En effet, la frise suit le rythme des formes naturelles de la paroi, à savoir les arêtes verticales formées de reliefs angulaires naturels sur lesquels les Magdaléniens ont sculpté des anneaux. De plus, l’organisation thématique des figures soutient le découpage en panneaux de l’ensemble de la frise. Se succèdent, en effet sur la paroi, des zones figuratives et des zones non figuratives ou des zones de faille. Parmi les zones figuratives, huit panneaux présentent actuellement des éléments figuratifs avec d’aval en amont : deux bisons, un cheval tournant la tête, un cheval inclinant la tête, un bison couché, trois femmes associées à deux bisons et un ensemble de bouquetins réparti sur deux registres et trois panneaux. La cohérence de chacun des panneaux est renforcée par le traitement et les proportions des sujets qu’il rassemble. Par exemple, les bisons sont tous représentés en relief léger au tiers de leur grandeur nature et les bouquetins sont figurés en haut relief grandeur nature2.
La disposition des œuvres pariétales actuellement visibles dans l’abri Bourdois s’inscrit fortement dans la morphologie linéaire de la paroi. Les figures sculptées par les Magdaléniens sont juxtaposées et ordonnées selon l’axe longitudinal général de l’abri. Par ailleurs, les accidents rocheux ont servi de lignes de cadrage pour placer les œuvres. Les sculpteurs ont matérialisé par des anneaux ces cadrages sur le plan vertical et ont délimité les panneaux figuratifs. Ainsi, nous constatons une parfaite adaptation de l’organisation des figures à la morphologie de la paroi, qui elle-même se prêtait bien à la sculpture3.
Tout un registre de gravures fines a également été mis en évidence au pied des sculptures monumentales, là où, lors de leurs fouilles, Suzanne de Saint-Mathurin et Dorothy Garrod avaient atteint le substrat rocheux et ainsi dégagé la paroi jusqu’au sol naturel que forme la roche mère. Ces gravures fines ont été partiellement détruites par la création des sculptures, mettant en évidence la complexité de la succession d’utilisations de la paroi comme support artistique, pouvant correspondre à différentes occupations magdaléniennes.
L’analyse des sujets représentés montre des figures aux dimensions nettement réduites (quelques dizaines de centimètres tout au plus) face à la monumentalité des sculptures. La gravure indique une démarche artistique bien différente de celle de la sculpture. Le résultat est également très différent, car la gravure au Roc-aux-Sorciers laisse un art discret, un tracé de la mémoire d’un geste portant un sens particulier.
Aux cheval, bouquetin, bovidé, ours, anthropomorphe, félin, qui se retrouvent dans l’art pariétal sculpté, s’ajoutent des thèmes spécifiques comme le mammouth, l’antilope saïga, le renne, le canidé. L’antilope saïga est très rarement représentée dans l’art pariétal (Ker de Massat, la Souquette, Combarelles II). La présence relativement importante des cervidés, absents du registre sculpté, est à noter. Ces figures, souvent partielles, sont toutes naturalistes et portent des détails anatomiques réalistes comme les figures sculptées.
La gravure pariétale intervient comme une technique ancienne, antérieure à la sculpture, et produit un registre pariétal propre. Mais la gravure a également pu participer à l’ébauche des sculptures comme la gravure de tête de cheval au côté du bison (Bi6).
Des gravures profondes et des « reliefs gravés » ont également été mis en évidence lors de l’étude détaillée des sculptures pariétales4. Ils présentent des herbivores (dont l’identification reste à ce jour délicate), un cheval, un félin et un profil d’ours. Cette technique d’exécution principale des œuvres paraît avoir succédé à la gravure fine, cette dernière continuant à être employée pour la figuration des détails anatomiques, notamment sur le cheval et le félin.
À ces sculptures et gravures pariétales s’ajoutent plusieurs traces de peinture rouge et noire. Elles paraissent uniquement associées à la zone figurative des bouquetins, qui correspond à une même phase de réalisation de la frise, celle de la retaille de certaines sculptures de bisons en sculptures de bouquetins. Tantôt superposée, tantôt juxtaposée à la sculpture, la couleur rouge dessine des signes simples (ponctuations, bâtonnets), complexes (lignes pointillées), ou bien a été appliquée en grandes teintes plates (peut-être antérieures aux signes), tandis que le noir rehausse le bas des pattes de certains bouquetins mâles par teintes plates. Ces nouveaux éléments mettent en lumière une utilisation différentielle de la couleur de la part des artistes magdaléniens, propre à la sculpture pariétale animalière sur le site. Ils ne permettent pas de conclure à un coloriage intégral des sculptures, comme cela a souvent été avancé ; la couleur ne paraît effectivement pas participer à la figuration, rôle déjà assuré par la sculpture et la gravure, mais semble remplir une fonction bien à elle, en apportant des touches abstraites à l’ensemble sculpté.
Panneau des deux bisons
Panneaux du cheval de la découverte, du bison couché et du cheval inclinant la tête
Panneau des vénus
Premier panneau des bouquetins
Deuxième panneau des bouquetins
Troisième panneau des bouquetins
Panneau des bisons détruits
1 L. Iakovleva, G. Pinçon, Angles-sur-l’Anglin (Vienne). La Frise sculptée du Roc-aux-Sorciers, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, Réunion des musées nationaux, 1997, p. 18-21.
2 L. Iakovleva, G. Pinçon, Angles-sur-l’Anglin (Vienne). La Frise sculptée du Roc-aux-Sorciers, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, Réunion des musées nationaux, 1997, p. 93-103 et p. 115-129.
3 L. Iakovleva, G. Pinçon, Angles-sur-l’Anglin (Vienne). La Frise sculptée du Roc-aux-Sorciers, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, Réunion des musées nationaux, 1997, p. 19-21.
4 L. Iakovleva, G. Pinçon, Angles-sur-l’Anglin (Vienne). La Frise sculptée du Roc-aux-Sorciers, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, Réunion des musées nationaux, 1997, p. 74-76.
Auteurs : Geneviève Pinçon, Oscar Fuentes, Camille Bourdier, Aurélie Abgrall
© Réunion des musées nationaux – 2009