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Les représentations humaines
Les attitudes des sujets
Le troupeau des bouquetins (saisonnalité)
Les anneaux
L'art pictural
Animaux tournant la tête
1 - Chamois (cave Taillebourg)
© MAN.
2 - Bouquetin mâle (Bo1) (abri Bourdois)
© Geneviève Pinçon, ministère de la Culture, ill. Geneviève Pinçon.
3 - Cheval de la découverte (Ch1) (abri Bourdois)
© Geneviève Pinçon, ministère de la Culture, ill. Geneviève Pinçon.
Les artistes magdaléniens du Roc-aux-Sorciers ont su donner à leurs sculptures animalières des attitudes variées. Ces attitudes résultent bel et bien d’un choix : malgré la grande diversité des attitudes reproduites, certaines sont absentes, comme le galop ou le saut. À l’originalité thématique de la frise fait écho l’originalité des attitudes attribuées aux sujets. Certaines attitudes particulièrement rares ont ainsi été relevées : le bison couché, ou les animaux tournant la tête. Cette dernière animation est d’ailleurs répétée sur au moins trois individus (cheval, bouquetin, chamois), ce qui signifie qu’elle ne résulte pas uniquement de contraintes de cadrage mais d’une volonté iconographique manifeste des Paléolithiques.
Chevaux broutant ou buvant
1 - Bloc F16 (cave Taillebourg) (MAN 83305)
© RMN, ill. Jean-Gilles Berizzi.
2 - Bloc F1 (cave Taillebourg) (MAN 83306)
© RMN, ill. Jean-Gilles Berizzi.
3 - Cheval (Ch3) (abri Bourdois)
© Geneviève Pinçon, ministère de la Culture, ill. Philippe Plailly.
4 - Cheval (Ch2) (abri Bourdois)
© Geneviève Pinçon, ministère de la Culture, ill. Geneviève Pinçon.
Aucune attitude figurée n’est strictement identique. Même les chevaux broutant ou buvant, apparemment si stéréotypés, se distinguent par de menus détails ayant trait à la posture des pattes, à la cambrure du cou et de la tête, à l’ouverture de la bouche. Cette individualité dans l’attitude de chaque figure rejoint l’individualité déjà observée dans le traitement et la technique, malgré des canons stylistiques précis et relativement stricts1.
Correspondances thématiques/comportements
© Geneviève Pinçon, ministère de la Culture, ill. Camille Bourdier.
Chaque thématique est associée à des comportements précis : le comportement de subsistance pour le cheval et pour les félins (prédation) ; la récupération et la reproduction pour le bison ; la sauvegarde et les comportements sociaux (liés ou non à la reproduction) pour le bouquetin. À ces prédilections, voire à ces exclusions, répondent des choix artistiques correspondant à une symbolique des attitudes reproduites. Ces choix artistiques et/ou symboliques reflètent en partie la nature de ces animaux, et l’image mentale qui leur a été associée. Les félins sont des prédateurs impitoyables. Les chevaux partagent principalement leur temps entre alimentation, repos et vigilance à l’approche de prédateurs2 ; il en est de même pour les bouquetins dont la promptitude à réagir, à fuir est particulièrement connue3. Cette attitude de vigilance, de sauvegarde est en revanche moins prégnante chez le bison qui possède moins de prédateurs ; elle ne se retrouve pas sur les sculptures de bison. En revanche, l’association du bison au comportement de reproduction peut s’expliquer par les attitudes originales développées par les mâles pendant le rut, qui ont dû marquer l’imagination des Magdaléniens. Pour les bouquetins, le rut correspond aussi à une période de suractivité, avec des combats entre mâles, des poursuites voire des chocs entre mâles et femelles4. L’attention des artistes ne s’est cependant pas focalisée sur les mêmes événements entre les deux espèces : ils ont représenté la compétition entre mâles chez le bison, et l’excitation des mâles au contact des femelles chez le bouquetin. Les affrontements entre bouquetins mâles – pendant lesquels les bêtes se dressent l’une devant l’autre et se laissent retomber cornes contre cornes dans un bruit assourdissant – sont pourtant particulièrement impressionnants. Non seulement les comportements évoluent, mais les attitudes illustrant ces comportements changent également d’une thématique à l’autre.
Chez le cheval, le rut est nettement moins saisissant, bien que tout aussi violent. S’il développe une gestuelle singulière, elle reste beaucoup plus discrète que celle du bison et du bouquetin. En outre, les chevaux vivent en hardes mixtes, comprenant mâles, femelles et petits5. Le rut n’est donc pas une période de grand regroupement comme ce qui peut être observé chez les bisons et les bouquetins. C’est un épisode de vie moins repérable, et peut-être ainsi moins sensible dans l’association mentale que fait le Magdalénien au cheval. Il est en tout cas étonnant de remarquer qu’à la volonté manifeste des artistes d’inscrire les genres chez le bison et le bouquetin, au travers d’un dimorphisme sexuel marqué (caractères sexuels primaires et secondaires) mais aussi des attitudes contrastées des comportements de reproduction, s’oppose l’absence de sexualisation morphologique et éthologique des chevaux figurés.
Un lien spécifique apparaît ainsi entre la thématique représentée, le comportement et l’attitude exprimant ce comportement qui lui sont associés. Les attitudes ne sont donc pas le fait de la simple reproduction sur les parois d’observations réalisées au contact des animaux, mais sont incorporées à une composition mentale, symbolique, précise. À ces comportements et attitudes différenciés répondent des animations différentes. L’animation ne se fixe pas sur les mêmes segments corporels selon les thèmes : la bouche sera ainsi privilégiée pour les félins, la tête et la bouche pour les chevaux, ou encore la queue pour les bouquetins.
Enfin, dans l’abri Bourdois, une organisation thématique des panneaux6 avait été mise en évidence dès 1997. Il semble également que la répartition des attitudes ne soit pas aléatoire. En effet, une rupture très nette s’opère entre la moitié aval de l’abri, avec des attitudes paisibles (couple de bisons, cheval tournant la tête, cheval broutant ou buvant et bison couché), et la moitié amont où s’exprime toute la fougue, l’agitation du rut chez le bison et le bouquetin. Si les comportements de subsistance et de sauvegarde sont présents tout au long de la frise, les comportements de reproduction sont uniquement évoqués dans la partie amont, à partir du panneau des vénus qui marque la césure. Les attitudes paraissent ainsi pleinement participer à la composition symbolique du décor pariétal du Roc-aux-Sorciers.
Subsistance et prédation (cheval, félin)
Récupération et reproduction (bison)
Sauvegarde et comportements sociaux liés ou non à la reproduction (bouquetin)
1 L. Iakovleva, G. Pinçon, Angles-sur-l’Anglin (Vienne). La Frise sculptée du Roc-aux-Sorciers, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, Réunion des musées nationaux, 1997, p. 150.
2 M.-A. Leblanc, Le Cheval, Montréal, Éditions de l’Homme, 1984, 332 p., ill.
3 M. Couturier, Le Bouquetin des Alpes, Grenoble, Allier, 1962, 2 vol., 1564 p.
4 M. Couturier, Le Bouquetin des Alpes, Grenoble, Allier, 1962, 2 vol., 1564 p.
5 M.-A. Leblanc, Le Cheval, Montréal, Éditions de l’Homme, 1984, 332 p., ill.
6 L. Iakovleva, G. Pinçon, Angles-sur-l’Anglin (Vienne). La Frise sculptée du Roc-aux-Sorciers, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, Réunion des musées nationaux, 1997, p. 149.
Auteur : Camille Bourdier
© Réunion des musées nationaux – 2009