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À la suite de l’effondrement du plafond de l’abri à cet endroit, l’art pariétal de la cave Taillebourg nous est parvenu en mille morceaux. De nombreux blocs ont été mis au jour lors des fouilles de Suzanne de Saint-Mathurin. Seules les sculptures d’un bison et de sujets indéterminés sont encore en place. On décompte aujourd’hui près de 350 blocs imposants (de l’ordre de 300 kg pièce) et plusieurs centaines de blocs de petites dimensions issus du plafond de la cave Taillebourg, pour la plupart conservés au musée d’Archéologie nationale (MAN). Le plafond de la cave Taillebourg, dont la position d’une grande partie des blocs a été repérée sur différents plans par Suzanne de Saint-Mathurin et Dorothy Garrod, est en cours de reconstitution.
Lorsqu’elle reprend les fouilles à cet endroit, Suzanne de Saint-Mathurin observe que les blocs sont superposés sans intercalation de pierrailles, signe d’une chute brutale, et ne constate pas d’effritement par le gel. Elle en déduit que cette chute est probablement liée à un ébranlement de la zone faillée, la détachant de la falaise où des infiltrations ont diminué son adhésion à la masse calcaire1. Cet éboulement a scellé les couches du Magdalénien moyen. Dans la cave Taillebourg, les couches sont dressées, fortement perturbées, contrairement aux couches dans l’abri Bourdois, pour lesquelles la stratigraphie est plus nette.
L’étude de l’ensemble de ces blocs amène à une vision plus large de ce que devait être l’art pariétal au Roc-aux-Sorciers à l’époque magdalénienne, avec notamment, à terme, la reconstitution du plafond de la cave Taillebourg. Pour Suzanne de Saint-Mathurin, il s’agit d’une « frise effondrée2 » ; la distribution des sculptures se répartit, d’après elle, sur trois rangs étagés : « Nous devions nous rendre compte que trois rangées de sculptures avaient existé à l’origine mais la troisième était très dégradée3. » Les blocs retrouvés dans le gisement sont associés aux couches d’occupation humaine ou hors de celles-ci ; leur position dans la stratigraphie aide à définir leur origine. En effet, sont-ils tombés naturellement lors de l’effondrement ou bien sont-ils issus d’interventions humaines (retailles) au moment de l’occupation ? Comment ces blocs ornés s’insèrent-ils dans l’art monumental pariétal et comment peuvent-ils être abordés avec les œuvres encore in situ ? Avant toute intervention des archéologues, Emmanuel Desroches, restaurateur, et son équipe ont entrepris sur des crédits de la Réunion des musées nationaux (RMN) puis de la Direction des musées de France (DMF - MAN) des travaux de restauration et de conservation des blocs4. Ces interventions se poursuivent actuellement, notamment sur l’ensemble des blocs encore sur le gisement. Les archéologues n’interviennent sur les blocs qu’après accord des restaurateurs sur les techniques d’analyse, les états de surface des blocs ne se prêtant pas toujours à une analyse directe.
Au moment de leur mise au jour, les blocs ont été numérotés et repérés sur plans par Suzanne de Saint-Mathurin. Malheureusement, certains de ces numéros ont été effacés depuis et les descriptions associées aux blocs dans les carnets de fouille ne sont pas toujours suffisamment fines pour les reconnaître ; aussi la phase de recollement des blocs référencés par Suzanne de Saint-Mathurin avec l’ensemble des blocs à notre disposition n’est pas encore achevée. Elle sera cependant d’une grande aide pour la reconstitution in fine du plafond de la cave Taillebourg.
Un cas particulier de bloc attire notre attention car il est sculpté sur deux faces opposées. La question de la réutilisation d’un fragment de paroi se pose : en effet, l’histoire décorative de ce bloc résulte-t-elle d’interventions humaines successives ou simultanées ?
Un bloc, répertorié F45 par Suzanne de Saint-Mathurin, resté sur place, présente dans sa matière deux types de bancs calcaires, l’un particulièrement riche en fossiles, l’autre plus compact. Or, ce même phénomène s’observe au plafond où l’on retrouve ces deux bancs de calcaire en place. Cet indice de morphogéologie permet également de définir l’orientation d’origine du bloc et nous guide ainsi sur le sens des figures. Les sujets sont orientés les pattes vers l’intérieur comme les figures du bloc cité ci-dessus et le bison encore in situ.
Les blocs et les vestiges de sculpture encore en place ont certes chacun un intérêt individuel, mais ils prennent tout leur sens dès que l’on peut les raccorder et ainsi reconstituer le puzzle. Ce travail ouvre des perspectives sur la lecture des œuvres, leur positionnement les unes par rapport aux autres et une compréhension de l’ensemble pariétal du gisement.
Jusqu’à présent, les blocs ont fait l’objet de raccords à l’occasion des fouilles (Suzanne de Saint-Mathurin), de l’inventaire réalisé au moment du départ des objets vers le MAN, puis au fur et à mesure des travaux de recherche et au cours de la restauration conduite par Emmanuel Desroches. Ces raccords s’appuient sur la texture et la couleur de la pierre, le graphisme et la localisation topographique des blocs dans la fouille.
Remontage numérique de deux blocs de la cave Taillebourg
© Geneviève Pinçon, Art graphique et patrimoine.
« Dans l’idéal, pour mener correctement le puzzle, il faudrait rassembler tous les fragments dans un même lieu. Ce lieu devrait être vaste (pour disposer d’aires de rangements, d’aires de puzzle et d’allées pour transpalette ou des personnes, pour étaler les fragments sur des tables, pour ménager la place d’un dispositif de levage (portique), illuminé par une lumière abondante (de préférence naturelle), nanti d’un sol de roulement (dalle). C’est seulement dans de telles conditions que le puzzle pourra être exhaustif5. » On comprend alors combien sont utiles les modèles numériques de l’ensemble des blocs et leur restitution en taille réduite. Le travail sur les blocs est une grande entreprise étant donné le nombre de blocs à prendre en considération. L’utilisation de nouvelles technologies est fondamentale pour la gestion de ce grand nombre d’éléments, mais permet surtout de restituer virtuellement la morphologie de la cave Taillebourg avec son plafond et son fond d’abri ornés.
Il s’agit, à l’instar de l’abri Bourdois, d’un art sculpté, gravé et peint. Les trois techniques s’associent ou se succèdent sur un même fragment de paroi. Ce matériel présente des états de surface assez bien conservés car il n’a pas subi la forte calcitation observée dans l’abri Bourdois.
Dans l’état actuel de nos connaissances, l’avancée de la voûte ne peut pas encore être profilée avec exactitude. Cependant, les vestiges restés sur place suggèrent une avancée de l’ordre de cinq à six mètres ; en effet, en avant du pied de falaise se trouve un fragment de pan rocheux de grande taille formant un rempart qui domine l’Anglin. Ce bloc, sculpté de deux bisons et d’un capridé, constitue une surface importante du plafond à recomposer virtuellement. Sa provenance peut être retrouvée en étudiant le trajet de sa chute. En raison de son poids important, on peut penser à une chute entraînant peu de déplacement par rapport à l’origine du bloc. L’analyse de son déplacement permet d’orienter sur la voûte les sujets qui y sont repérés. Par ses dimensions importantes (6 × 2 m), ce bloc représente à lui seul une partie du plafond sculpté de l’ordre de 12 m2.
Si l’on tient compte de l’avancée potentielle de l’abri, le plafond présenterait une suirface d’au moins 50 m2 (équivalant à la surface ornée dégagée à ce jour dans l’abri Bourdois), entièrement sculptée, gravée et peinte.
Les blocs monumentaux conservés sur le site
Les blocs conservés au musée d’Archéologie nationale (MAN)
1En effet, ces niveaux étaient « surmontés par un puissant éboulis, formé au dépens de la roche encaissante, qui passe de l’autre côté du talus à un effondrement de gros bloc provenant de la corniche, atteignant jusqu’à 3,50 m d’épaisseur… C’est sous ce matériel détritique que furent retrouvés les fragments sculptés de la paroi et de la voûte qui avaient été les premiers à subir les effets des phénomènes de gélivation et, comme l’a reconnu Mlle Alimen, de dislocation » (S. de Saint-Mathurin et D. Garrod, « La frise sculptée de l’abri du Roc-aux-Sorciers à Angles-sur-l’Anglin (Vienne) », L’Anthropologie, t. 55, 1951, p. 413-424, 3 fig., p. 415).
2 S. de Saint-Mathurin, « Nouvelle frise sculptée du Magdalénien ancien découverte à Angles-sur-l’Anglin (Vienne) », C.R. Institut français d’anthropologie, 72, Paris, 1951, p. 3-4.
3 S. de Saint-Mathurin, « Les bas-reliefs et la frise sculptée d’Angles-sur-l’Anglin (Vienne) », Institut français d’anthropologie, séance du 15 mars 1950, p. 6-8, 1 fig.
4 I. Auzanne, E. Desroches et G. Pinçon, « Bilan d’interventions sur le site magdalénien du Roc-aux-Sorciers à Angles-sur-l’Anglin (86, France) : restauration, analyse de la polychromie et relevé numérique 3D », L’Art avant l’Histoire, la conservation de l’art préhistorique, 10ème journée d’études de la section française de l’Institut international de conservation (SFIIC), Paris, 23-24 mai 2002, p. 221-241, ill. ; E. Desroches et A. Ingoglio Corear, « Rapport d’intervention de conservation sur le lapidaire du Roc-aux-Sorciers à Angles-sur-l’Anglin du 20 avril au 5 octobre 2004 », 2004.
5 E. Desroches et A. Ingoglio Corear, « Rapport d’intervention de conservation sur le lapidaire du Roc-aux-Sorciers à Angles-sur-l’Anglin du 20 avril au 5 octobre 2004 », 2004.
Auteur : Geneviève Pinçon
© Réunion des musées nationaux – 2009