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Récapitulatif de l’analyse granulométrique des prélèvements sédimentaires du Roc-aux-Sorciers
© Ministère de la Culture, ill. Émilie Bozet.
L’étude des pierres et des blocs (granulométrie, morphométrie, corrosion) présents dans l’abri Bourdois montre qu’ils proviennent essentiellement du calcaire de la paroi et que, par conséquent, celle-ci a joué un rôle important dans le remplissage du site. En effet, des études de la paroi réalisées par le BRGM en 19941, et utilisant la méthode géoradar, mettent en évidence une série d’anomalies majeures correspondant à des fissures, fractures et décollements de la falaise. L’abondance des pierres calcaires dans le remplissage de l’abri et leur répartition peuvent donc s’expliquer, en grande partie, par l’instabilité de la paroi. Cependant, nous ne retrouvons pas la même quantité de pierres et de blocs dans toute la stratigraphie : cela peut s'expliquer par d’autres facteurs occasionnels qui ont favorisé la fragmentation de la paroi, comme l’action de microséismes possibles du fait de la présence de petites failles2,3, la circulation de fluides entre les fissures, mais aussi par l’action ponctuelle du gel et du dégel dans des conditions climatiques plus rigoureuses. Les différents facteurs climatiques et mécaniques provoquant le démantèlement de la falaise, la chute de blocs et de fragments de calcaires ont ainsi participé très largement au remplissage de l’abri et peuvent être bien localisés dans le temps.
Par l'étude des minéraux lourds et celle de la minéralogie de la fraction argileuse, et par les résultats de la géochimie (analyses réalisées au CRPG de Nancy), nous avons pu déterminer les différentes origines des sédiments du Roc-aux-Sorciers. La géochimie montre qu'une partie du remplissage sédimentaire provient du plateau situé juste au-dessus du site, et que ces sédiments auraient été apportés par ruissellement le long de la paroi ou par déflation (par le vent). En effet, les teneurs en éléments majeurs, mineurs et traces des sédiments du Roc-aux-Sorciers sont très proches de celles que nous retrouvons dans les sédiments du plateau situé au-dessus du site. Cependant, des origines plus lointaines (quelques dizaines de kilomètres) ont pu être envisagées, notamment au nord du Roc-aux-Sorciers (minéraux lourds [BDD 486] et minéralogie de la fraction argileuse [BDD 485]) et au sud (minéralogie de la fraction argileuse [BDD 485]). Ces sédiments ont été transportés par le vent et déposés dans l’abri du Roc-aux-Sorciers, mais ils ont pu également être apportés par la rivière de l’Anglin puisque, dans le gisement archéologique, ont été retrouvés des minéraux lourds provenant de roches situées plus au sud et au pied de la rivière.
Proposition de synthèse climatique à partir des données sédimentologiques du Roc-aux-Sorciers. Le climat semble plus froid et humide durant la période dont l’industrie est attribuée au Magdalénien moyen que pour la période d’occupation du Magdalénien supérieur où le climat devient plus tempéré et toujours relativement humide.
© Ministère de la Culture, ill. Émilie Bozet.
À la base du remplissage, l’ensemble Ej, compris entre 310 et 240 cm (Magdalénien moyen) est caractérisé par l’abondance de cailloux de petites tailles. Cependant, à quatre reprises (au niveau de S1, S3, S6 et sur toute la zone d’effondrement), la proportion de pierres émoussées de 9-10 cm de diamètre atteint 20 à 30 %, ce qui suggère que l’intensité de l’eau circulant dans les fissures et fractures de la paroi a été plus forte durant ces trois périodes. Nous pouvons donc émettre l’hypothèse d’une forte humidité à l’époque correspondant à la base de la coupe (Magdalénien moyen), qui s’appuie également sur la forte concentration de grains de quartz émoussés luisants typiques (environ 60 %), de nombreuses marques de dissolution mises en évidence par l’exoscopie et le fort pourcentage de sables grossiers (30 % en moyenne) dans tout l’ensemble jaune. L’importance des sables grossiers et la très faible présence de grains de quartz cassés s'expliquent par un transport sur une faible distance. L’existence de marques de choc anciennes recouvertes de voile de silice sur les quartz et la forte concentration de fleurs de silice montrent une longue phase d’immobilisation des grains après leur apport par l’eau. De plus, le δ13C élevé à la base de la stratigraphie suggère un climat relativement froid, ce qui ne semble pas étonnant puisque ce niveau de la stratigraphie (Magdalénien moyen) correspond à la fin du dernier épisode glaciaire dans le Dryas I (considéré comme plutôt froid). La zone d’effondrement, marquée par de nombreux blocs calcaires compacts, sans arêtes franches, supérieurs à 20 cm de diamètre et par 20 % à 25 % de pierres de 9 à 10 cm, ne peut cependant pas être le résultat d’un froid très rigoureux mais serait plutôt liée à l’action de microséismes provoqués par les failles alentour qui accentuent la fragilité naturelle de la paroi.
L’ensemble orange (de 240 à 200 cm) se caractérise par une dominance des pierres de petites tailles (< 5 cm), une disparition des pierres de 9-10 cm, une légère augmentation du taux de limons, des grains de quartz légèrement moins émoussés que précédemment (52 % environ) qui possèdent des croissants de choc. Ces résultats indiquent qu’il y a eu des apports par le vent puis une reprise des sédiments par ruissellement dans l’abri sous un climat devenant plus humide. À partir de cet ensemble, le δ13C diminue, laissant penser que le climat devient un peu plus tempéré.
Les couches Em, Eg et Eb (200 cm jusqu’au sommet de la coupe) contiennent un pourcentage relativement important (environ 50 %) de pierres de 1-2 cm de diamètre, un taux élevé de la fraction fine comprise entre 40 et 2µm et un pourcentage d’émoussés luisants particulièrement important (65 % en moyenne). Nous observons également de nombreuses marques de dissolution, un net polissage des arêtes des grains de quartz et des structures de broutage. Ces résultats laissent supposer que le taux d’humidité augmente de nouveau.
Essai de corrélation avec les données paléoclimatiques globales (Dahl-Jensen et al., 1993 ; Dansgaard et al., 1989 ; Dansgaard et al., 1993 ; GRIP Members, 1993 ; Grootes et al., 1993 ; Hammer et al., 1997 ; Johnsen et al., 1995 ; Johnsen et al., 1997)
© Ministère de la Culture, ill. Émilie Bozet.
D’autres sites de la région contiennent une industrie attribuée au Magdalénien et l’art associé à ces gisements archéologiques est très bien étudié, mais leur séquence sédimentaire, qui permet une interprétation climatique, est moins connue. La grotte de Montgaudier (Montbron, Charente) possède un foyer plan4 et un remplissage sédimentaire relativement important, étudié par André Debénath5, dont la partie supérieure correspond à un niveau d’occupation du Magdalénien supérieur. L’étude sédimentologique montre un climat froid avec des actions de cryoclastie importantes à la base et au sommet du niveau attribué au Magdalénien supérieur. Ces épisodes froids sont séparés par une phase moins froide et plus humide. La séquence sédimentaire de Montgaudier est relativement proche de celle du Roc-aux-Sorciers, mais ne correspond pas à celle de la Chaire-à-Calvin (Mouthiers-sur-Boëme, Charente). Ainsi, d’après André Debénath, la séquence de Montgaudier, comme celle du Roc-aux-Sorciers, est à considérer comme antérieure à celle de la Chaire-à-Calvin dont le remplissage se compose de couches du Magdalénien supérieur et possède une zone d’effondrement qui rappelle celle du Roc-aux-Sorciers6,7. D’après Jean-Marc Bouvier et André Debénath, qui ont décrit précisément la stratigraphie du site8,9,10, une diminution régulière des actions thermoclastiques de la base du sommet des niveaux, dont l’industrie correspond au Magdalénien supérieur, montre une baisse générale du froid. La description de la stratigraphie de la grotte de La Marche (Lussac-les-Châteaux, Vienne)6,7, dont la datation de la couche préhistorique est de 14 280 BP (Magdalénien moyen), est relativement sommaire et aucune analyse sédimentologique n’a encore été réalisée ; c’est le cas également de la grotte du Chaffaud (Savigné, Vienne) pour laquelle une description précise de la stratigraphie n’a pu être établie du fait de fouilles anciennes (1830) aboutissant à un bouleversement de la séquence sédimentaire6,7. Enfin, la grotte du Bois-Ragot (Gouex, Vienne), dont la stratigraphie a été bien étudiée, possède deux niveaux paléolithiques datés du Magdalénien supérieur et deux niveaux aziliens6,7. Peu d’actions cryoclastiques ont été observées dans les niveaux d’occupation du Magdalénien supérieur et les sédiments sont bien classés, ce qui laisse suggérer aux auteurs11,12 que les conditions climatiques étaient froides mais peu rigoureuses. D’après les études de plusieurs disciplines, la période d’occupation du Magdalénien supérieur débute par un climat froid et relativement sec qui évolue vers une légère diminution du froid et une augmentation de l’humidité. Ces résultats sont proches des conclusions obtenues au Roc-aux-Sorciers par l’étude sédimentologique.
1 J.-M. Baltasset, J.-M. Gandolfi, R. Pasquet, « Projet de mise au noir de l’abri du Roc-aux-Sorciers, à Angles-sur-l’Anglin. Diagnostic de stabilité du massif rocheux abritant les sculptures préhistoriques. Études préalables », Rapport BRGM, N1647, 1994, 20 p.
2 H. Alimen, « Les terrasses de l’Anglin », Actes du Congrès préhistorique de France, Paris, 1950, p. 92-96.
3 S. de Saint-Mathurin, « Les sculptures rupestres du Roc-aux-Sorciers », L’Art préhistorique, 1 : Les grands sites de Poitou-Charentes, dossier « Histoire et Archéologie », Archeologia, n° 131, 1988, p. 42-49, 10 fig.
4 L. Duport, « Grotte de Montgaudier. Commune de Montbron (Charente). Le foyer et les gravures magdaléniennes », Préhistoire de Poitou-Charentes : problèmes actuels. Actes du 111ème congrès national des sociétés savantes, dir. par B. Vandermeersch, Paris, CTHS, 1987, p. 37-48.
5 A. Debénath, « Recherches sur les terrains quaternaires charentais et les industries qui leur sont associées », thèse de doctorat, spécialité préhistoire, université Bordeaux I, 1974, 678 p.
6 J. Airvaux, L’art préhistorique de Poitou-Charentes. Sculptures et gravures des temps glaciaires, Paris, La Maison des Roches, 2001, 223 p.
7 D. Vialou [dir.], La Préhistoire. Histoire et dictionnaire, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2004, 1631 p.
8 J.-M. Bouvier, A. Debénath, « La Chaire-à-Calvin (Mouthiers, Charente). Étude sédimentologique : note préliminaire », Quaternaria, 1960, p. 215-226.
9 J.-M. Bouvier, « La Chaire-à-Calvin (Mouthiers, Charente). Données et problèmes », Livret-guide de l’excursion A4 Berry-Poitou-Charentes, VIIIème congrès de l’INQUA, 1976, p. 94-102.
10 D. de Sonneville-Bordes, « Observations sur le Magdalénien de la Chaire-à-Calvin, à Mouthiers (Charente) », Préhistoire de Poitou-Charentes : problèmes actuels. Actes du 111ème congrès national des sociétés savantes, dir. par B. Vandermeersch, Paris, CTHS, 1987, p. 157-185
11 A. Chollet, P. Boutin, A. Debénath, F. Delpech, J.-C. Marquet, « La grotte du Bois-Ragot à Gouex (Vienne). Industries, géologie, paléontologie », CNRS, Colloques internationaux, 1979, p. 365-380.
12 J.-C. Marquet, « Reconstruction du climat et de l’environnement du site du Bois-Ragot à Gouex d’après l’étude des rongeurs », La grotte du Bois-Ragot à Gouex (Vienne), Magdalénien et Azilien, essais sur les hommes et leur environnement, dir. par A. Chollet et V. Dujardin, Mémoire de la Société Préhistorique Française, 38, 2005, p. 373-384.
Auteurs : Émilie Bozet, Jean-Claude Miskovsky
© Réunion des musées nationaux – 2010