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Les plaquettes gravées
Les dalles gravées
Les galets gravés
Le cortex de silex gravé
Le madrépore gravé
Produites depuis l’Aurignacien, les plaquettes lithiques gravées connaissent leur apogée au Magdalénien moyen et au Magdalénien supérieur.
Les plaquettes retrouvées au Roc-aux-Sorciers dans les couches du Magdalénien moyen sont toutes en partie fracturées. Pour certaines d’entre elles, les fractures sont limitées aux bords ; leur format originel ne devait être guère plus important. D’autres, en revanche, sont plus fragmentaires. L’une d’elles est brisée en plusieurs morceaux dont deux ont été récoltés par Lucien Rousseau. Ces fractures sont anciennes, comme en témoigne leur surface patinée et/ou concrétionnée.
Ces objets ont répondu à des usages multiples. Ils ont été décorés, raclés ou frottés, brisés, réemployés comme outils. Ce cas n’est pas isolé. Les plaquettes gravées de la grotte d’Enlène dans les Pyrénées – l’un des principaux gisements français d’art mobilier du Magdalénien moyen – ont ainsi été utilisées comme outils ou comme éléments de pavage, fragmentées puis jetées ou détruites1. Un traitement similaire est observé sur les plaquettes de La Marche (Lussac-les-Châteaux, Vienne). Les Magdaléniens n’ont donc pas hésité à s’attaquer aux gravures, aux dessins, à les détruire au moins partiellement. Ce comportement surprenant – pour nous qui considérons ces figures comme des œuvres d’art – soulève de nombreuses interrogations sur le rôle de ces plaquettes ornées.
Ont-elles eu une fonction religieuse ? Pour l’abbé Breuil comme pour André Leroi-Gourhan, elles constitueraient des sanctuaires mobiliers, complémentaires des sanctuaires pariétaux (pour les sites renfermant des œuvres pariétales), ou s’y substituant2. Bien qu’il soit difficile ici d’en établir le caractère délibéré ou purement accidentel, leur morcellement indique une fonction éphémère. Peut-être seul le geste créateur avait-il un sens, et non l’œuvre en elle-même3. Peut-être encore cette fragmentation participait-elle à la symbolique, était-elle rituelle ; une telle pratique est notamment signalée sur les statuettes en grès du Magdalénien moyen de la grotte d’Isturitz dans les Pyrénées4. La petite taille des supports et des figures réalisées pose également la question du cadre de ces pratiques religieuses/symboliques. Étaient-elles collectives, rassemblant plusieurs individus ? Au contraire, ces plaquettes illustrent-elles des démarches individuelles ? Les plaquettes gravées ont ainsi subi un changement de rôle, à travers des réutilisations techniques : après avoir été cassés, les morceaux ont été récupérés à d’autres fins, qui restent précisément inconnues. Ce réemploi a pu directement succéder au bris, ou survenir bien ultérieurement.
La valeur symbolique/religieuse de ces objets n’est cependant pas si évidente. Le choix des supports est déroutant : de petits modules, dont les bords étaient déjà détériorés par des éclats pour certains. Il semble que les Magdaléniens aient ici uniquement recherché la régularité des supports. L’emploi de la gravure qui est la technique la plus simple à mettre en œuvre (ne nécessitant pas le savoir-faire et l’investissement de la peinture ou de la sculpture), les multiples reprises du décor, les surcharges de figures par des éléments manifestement non figuratifs, l’occupation apparemment désordonnée de tout l’espace disponible sur les deux faces de la pièce sèment également le trouble. Ces dessins ne paraissent pas avoir été destinés à être vus. Ces plaquettes ne sont pas sans rappeler les palimpsestes rencontrés sur les parois des grottes (Combarelles, Trois-Frères), un art de l’instant où, de nouveau, le geste, l’acte de graver semble avoir été chargé de symbolique, et avoir primé sur la lisibilité de l’œuvre, le rendu visuel5. Pour certains chercheurs au contraire, la notion même d’œuvre est à remettre en cause pour ces objets. Il s’agirait de carnets de croquis, d’essais illustrant un apprentissage ou un entraînement6. Cette hypothèse expliquerait notamment la qualité inconstante des représentations, avec la cohabitation de silhouettes grossières – réalisées par des débutants – et de figures beaucoup plus abouties qui seraient le fait d’artistes7.
Avec leurs usages variés, les plaquettes gravées témoignent d’un rapport particulier, complexe et certainement multiple des Magdaléniens à leurs différentes formes d’art, et aux pratiques symboliques correspondantes. L’étude de leur répartition au sein de l’occupation – dont nous ne disposons pas ici – pourrait permettre d’entrevoir d’éventuelles pratiques autour de ces objets.
1 R. Bégouën, F. Briois, J. Clottes et C. Servelle, « Art mobilier sur support lithique d’Enlène (Montesquieu-Avantès, Ariège), collection Bégouën du musée de l’Homme », Ars Praehistorica, t. III-IV, 1984-1985, p. 25-80.
2 A. Leroi-Gourhan, Préhistoire de l’art occidental, Paris, L. Mazenod, coll. « L’art et les grandes civilisations », n° 1, 1965, 485 p., ill.
3 A. Sieveking, « Les plaquettes et leur rôle », L’Art des objets au Paléolithique. Les voies de la recherche. Actes du colloque de la direction du Patrimoine de Foix-Le Mas d’Azil, 16-21 novembre 1987, dir. par J. Clottes, Paris, ministère de la Culture, et Picard, coll. « Actes des colloques de la direction du Patrimoine », 8, 1990, vol. 2, p. 7-18.
4 L. Mons, « Les statuettes animalières en grès de la grotte d’Isturitz (Pyrénées-Atlantiques) : observations et hypothèses de fragmentation volontaire », L’Anthropologie, t. 90, n° 4, 1986, p. 701-712.
5 C. Fritz et G. Pinçon, « L’art mobilier paléolithique. Valeur d’instants, de la création à la destruction », Le Temps de la préhistoire, dir. par J.-P. Mohen, Paris et Dijon, Société préhistorique française et Archeologia, 1989, vol. 2, p. 161-163.
6 L. Capitan et J. Bouyssonie, « Un atelier d’art préhistorique : Limeuil. Son gisement à gravures sur pierres de l’âge du renne », Publications de l’Institut international d’anthropologie, n° 1, Paris, Noury, 1924, 129 p.
7 R. Bégouën, F. Briois, J. Clottes et C. Servelle, « Art mobilier sur support lithique d’Enlène (Montesquieu-Avantès, Ariège), collection Bégouën du musée de l’Homme », Ars Praehistorica, t. III-IV, 1984-1985, p. 25-80.
Auteur : Camille Bourdier
© Réunion des musées nationaux – 2009